Anarcho-tafiolisme : quand les mecs s'engagent.
La Toison Rouge s'enthousiasme pour toutes les initiatives visant à détruire le patriarcat et à éradiquer le sexisme.
L'anarcho-tafiolisme est un mouvement de réflexion et d'action initié par une poignée d'hommes d'une vingtaine d'années, nous vous proposons la lecture de leur manifeste.
Attention, décapant ! ^_^
POUR EN FINIR AVEC LE PROFÉMINISME :
PROPOSITIONS ANARCHO-TAFIOLISTES POUR EN FINIR AVEC LE PATRIARCAT, LE SEXISME, LE GENRE ET LE PROFÉMINISME.
Dans
le texte qui suit, j’écrirais à la première personne. D’une part,
simplement parce que cela correspond à la réalité concrète d’écriture,
et d’autre part pour en finir avec le ton mytho de nombreux textes
anarcho-révolutionnaires qui voudraient faire croire qu’on est des
milliers dans la lutte et qu’en plus on est super nerveux-ses et
radicaux-les.
C’est un texte où je me mets en danger. Ce n’est pas facile de le publier car il me renvoi à mes innombrables contradictions, entre valorisation et flagellation de l’ego. Alors que ce soit immédiatement clair, je ne cherche ni à me valoriser, ni à me victimiser, ni à m’élever au dessus de quiconque. Si le ton peut parfois être virulent ou incisif, c’est simplement car il est l’expression de mes frustrations.
QUI SUIS-JE ?
Pour
la bonne compréhension de ce texte il me semble d’abord important de me
présenter. Ainsi certains propos que je peux tenir le long de ces
quelques lignes seront peut-être plus compréhensibles.
Je suis un homme blanc de 21 ans, qui a eu une éducation genrée mais assez peu machiste. J’ai grandi et vécu comme hétérosexuel avec des aspirations bisexuelles jusqu’à ce que je décide et assume d’être pédé, il y a environ un an. Durant les quelques dernières années de ma vie j’ai beaucoup vécu en contact avec les milieux anarcho-trucs et plus particulièrement avec des amies féministes. C’est donc avec quelques coups de pieds au cul derrière moi que je suis aujourd’hui en mesure d’écrire ceci.
OUI, LES MECS SONT DES BITNIKS...
Les
idées présentes dans ce texte sont les fruits de nombreuses discussions
entre mecs relatives au sexisme et à la construction masculine, et plus
particulièrement d’une rencontre intense avec un pote avec qui on
devait écrire une brochure sur le sujet. Nous avons élaboré la plupart
de ces reflexions ensemble, mais comme il habite à l’autre bout de la
(F)rance et que comme tous bons mecs qui se respectent on est un peu
des bitniks quand il s’agit de produire quelque chose en lien avec les
questions de genre et de sexisme, le projet est un peu tombé à l’eau...
Donc voilà, ce texte a pu être écrit grâce à popo0, Corbak, Tamaz, KHG.
A QUI S’ADRESSE CE TEXTE ?
Ce
texte s’adresse avant tout aux hommes qui gravitent autour des
féministes. Il faut le lire en considérant qu’il a été écrit à partir
d’un constat de base : nous (les hommes) sommes socialement construits
et oppresseurs. Nous avons le pouvoir de l’oppresseur au sein du
système sexiste et patriarcal qui régente la domination des hommes sur
les femmes. C’est mon point de départ. Il n’est pas question de
tergiverser infatigablement sur ces questions comme c’est trop souvent
le cas dans les groupes non-mixtes hommes. Ces bases sont des réalités
dont on ne peut nier les fondements. Alors la question qui se pose
n’est plus de savoir si on doit se flageller parce qu’on est méchants
ou se victimiser parce qu’on n’y peut rien, mais bel et bien de savoir
comment on s’y met, ici et maintenant, collectivement et
individuellement.
Aussi je m’inclue totalement dans ce qui suit. C’est à partir d’un regard critique sur mes expériences que je me permet d’écrire tout ceci. Je ne veux absolument pas me positionner en tant que donneur de leçon, et lorsque je parle « des hommes », je parle aussi de moi.
PAR RAPPORT AUX FEMINISTES
Il
n’est aucunement question pour moi de récupérer les propos qui
appartiennent aux féministes, mais l’on ne peut pas nier que d’une part
je suis influencé et issu de la pensée féministe, et que d’autre part
il y a convergence entre l’anarcho-tafiolisme et l’anarka-féminisme sur
un certain nombre de points.
A aucun moment je ne tolérerais que mes propos soient utilisés contre
les féministes. Il s’agit bien ici de dénoncer l’inconsistance des
hommes vis à vis de la lutte contre le sexisme et non pas des
féministes à l’égard des hommes.
Par rapport aux féministes, je ressens personnellement un confort
humain et un inconfort politique. Un confort humain, parce que c’est
beaucoup plus facile pour moi de relationner avec des femmes plutôt
qu’avec des hommes. Parce que c’est chouette de pouvoir avoir des
rapports humains où il n’y a pas besoin de se battre. Enfin, parce que
c’est super constructif et agréable d’apprendre à s’écouter, d’essayer
de se comprendre, de s’attarder sur les subjectivités de chacun-e...
Parallèlement à cela, je vis aussi un inconfort politique très fort. La
grande majorité des thématiques et des luttes féministes ne me concerne
pas, normal, je suis un mec. Et en tant que mec justement, j’ai mes
propres problématiques et questionnements par rapport aux questions de
genre, de sexisme, de patriarcat. Et du coup, j’ai aussi ma propre
lutte à mener, indépendante du féminisme. Et ces problématiques ne
concernent politiquement pas les féministes, ce ne sont pas nos mamans.
C’est à nous, hommes, de prendre en charge nos responsabilités, de
s’impliquer activement dans ce qui nous concerne.
Cela dit, attention ! Il ne s’agit pas pour moi de nier tout ce que les féministes m’ont apporté. La structure de toute ma pensée actuelle est intimement liée avec les apports théoriques et pratiques des féministes dans ma vie.
PAR RAPPORT AUX PROFEMINISTES
Ce
que je reproche au proféminisme, c’est de se limiter à un gentil
soutien aux luttes féministes et à des tentatives de déconstructions
individuelles timides. Le proféminisme permet aux hommes de conserver
leurs beaux rôles de mecs qui assurent (comme c’est beau, quand même,
des oppresseurs qui se regardent de temps en temps dans un miroir...),
histoire au passage de préserver leurs activités affectives et
sexuelles avec les féministes.
De part sa définition permanente par rapport aux femmes, le
proféminisme occulte même toute remise en cause des rapports entre
hommes ainsi que toute perspective de lutte indépendante. Une fois de
plus, les féministes sont nos mamans qui nous montrent la voie à
suivre. Or, depuis quand les femmes ont besoin de nous dans leur
lutte ? Nous sommes des boulets pour elles, un point c’est tout.
Fichons leur la paix et organisons nous.
Il est évidemment absolument nécessaire que nous, hommes, oeuvront à
des déconstructions et reconstructions individuelles, mais cela n’est
pas suffisant. Il y a urgence à mettre en oeuvre une lutte collective
et des outils communs, par et pour les hommes avant tout. Je ne veux
pas que mon travail sur ces questions soit prioritairement au service
des femmes, mais si je le fais, c’est bien pour moi. C’est parce que la
situation me fait gerber, que des personnes s’en prennent plein la
gueule, que je ne trouve pas ma place dans tout ça, que ma passivité me
révolte et que mes comportements actifs proféministes m’apparaissent
dans toute leur stérilité politique. Par ailleurs, il n’est pas
question non plus de dire que je me fous complètement des implications
que peut avoir ma lutte anarcho-tafioliste sur la vie des femmes. Il
est évident que je veux que cette lutte serve à l’éradication complète
du patriarcat et de la moindre once de sexisme.
Nous réussissons à nous organiser collectivement pour beaucoup de luttes. Alors pourquoi pas pour celle-ci ? Si nous voulons réellement nous défaire de nos privilèges de mâles, nous ne pouvons y arriver que collectivement... C’est beaucoup trop facile de parler de déconstruction de genre à échelle individuelle. Cela permet juste de ne pas trop se mettre en danger, de ne pas risquer de trop se mouiller, et même de se valoriser face aux autres mecs et de passer pour le type trop cool, pas macho et déconstruit, alors que tout ceci est emprunt au plus haut point d’ego viril et de valorisation sociale.
PAR RAPPORT AUX HEDONISTES « ANTISEXISTES »
On
dirait que le concept libéral d’individu-e ex-nihilo a fait son bout de
chemin jusqu’à chez les anar-e-s, parmis lesquel-le-s on trouve entre
autres des hédonistes antisexistes qui sont parvenu-e-s à un état de
sublimation intellectuel leur permettant, en un claquement de doigts,
d’anéantir des années de construction sociale genrée. Il est inutile de
préciser que ces personnes sont parfaitement déconstruites, qu’elles ne
rencontrent jamais de sexisme dans leur vie, et que d’ailleurs les
rapports de domination ne sont que des lueurs de nos esprits paranos.
Ainsi, la philosophie hédoniste amène à continuer de vivre les mêmes
types de rapports, en changeant juste le regard que l’on y porte.
Précisons pour finir que ces individu-e-s majestueux-ses gardent
précieusement leur formule magique permettant de régler tous les
problèmes et se contentent de cracher sur les féministes, la
non-mixité, et aussi de manière plus générale, sur toute lutte où des
opprimé-e-s s’organisent collectivement de manière autonome contre
leurs oppresseurs.
C’est pour cela que je m’allie ici entre autres aux féministes, aux non-blanc-he-s, aux ouvrier-e-s, aux mineur-e-s, etc... pour exprimer à ces hédonistes mon plus profond mépris et dénoncer leur inconsistance politique et leur aspect profondément contre-révolutionnaire et dangereux pour nos propres luttes.
L’ANARCHO-TAFIOLISME, C’EST QUOI ?
L’emploi
du terme « tafiole » dans le mot « anarcho-tafiolisme » n’a pas
forcément de lien direct avec le sens originel de « tafiole », à
savoir : « homosexuel »... Ce mot semble cependant pertinent dans la
mesure où aujourd’hui il est plus utilisé pour désigner un homme pas ou
peu viril ne correspondant pas aux schémas du genre masculin que pour
désigner un homosexuel. C’est donc dans une perspective d’abandon de la
virilité et de la construction masculine que j’emploie ce terme, dans
l’optique de tous devenir des tafioles, des mecs pas virils...
Ce terme nouveau d’ « anarcho-tafiolisme » est fondamental dans la
mesure il ne me semble pas qu’il existe de lutte d’hommes contre le
sexisme en dehors du proféminisme. Et au vu des paragraphes précédents,
vous comprendrez aisément que je n’ai aucune envie de rejoindre la
lutte proféministe (même si par ailleurs je n’en suis encore que trop
imprégné...).
Il s’agit pourtant bien pour moi d’établir avant tout les bases d’une
lutte par et pour les hommes. Si nous parvenons à réinventer des
rapports nouveaux sains et dénués de domination entre hommes, nos
rapports aux femmes s’en retrouveront forcément transformés.
Mais au delà de cela, je veux vivre pleinement. Ma construction sociale
de mâle m’empêche de vivre un certain nombre d’aspects de ma
personnalité et d’envies. Et c’est bien cela que je compte détruire par
le biais d’une lutte en non-mixité, en plus de l’éradication complète
de tout comportement sexiste.
Ce dernier point n’est pas le départ de ma lutte, mais en est
l’aboutissement. Si nous, hommes, arrivons à recréer des rapports
non-mixtes sains et dénués de domination, je suis convaincu que la
disparition de tout comportement sexiste en découlera. Il est
nécessaire que nous posions des bases saines entre nous plutôt que de
vouloir courir au plus vite vers ce que nos comportements impliquent
pour les femmes.
Les objectifs que je place dans cette lutte sont clairs. Je veux
détruire mon genre, ma virilité, mes comportements genrés et remettre
en cause ma spontanéité qui n’est bien souvent que le reflet de ma
construction sociale. Je veux inventer des relations saines dénuées de
domination, me construire une identité propre à l’écart des normes de
genre, construire une lutte collective et contribuer à l’anéantissement
complet du patriarcat et du sexisme.
Il me semble évident qu’en plus d’être collective, cette lutte se fasse
en non-mixité, afin de partir réellement de problématiques et
d’approches d’hommes, même si je le répète, toute l’analyse théorique
du patriarcat provient avant tout de femmes.
Je souhaite donc créer des espaces-temps d’échanges entre hommes pour
avancer concrètement sur ces problématiques. Je souhaite trouver des
solutions efficaces et saines, loin de toute envie ou possibilité de
valorisation sociale. Je souhaite mettre en place des outils concrets
pour que les choses changent réellement et ne pas me contenter d’une
place confortable de proféministe. Je souhaite me mettre en danger dans
ces relations, pour être vrai et que les évolutions soient ainsi vraies
elles aussi. Bon, ok, je sais que je veux beaucoup de choses et que
concrètement j’en suis encore très loin, d’autant plus que c’est très
facile d’écrire tout ça caché derrière mon écran d’ordinateur...
Mais bref, je crois que je me rend compte que mes comportements
proféministes et les changements que j’effectue dans mon quotidien me
sont insuffisants, et pire, me semblent impliquer des cohortes de
nouvelles contradictions et de nouveaux problèmes. A quoi ça sert de
chercher à détruire la domination sexiste si je joue à celui qui pisse
le plus loin avec les mecs ?
Dans cette lutte anarcho-tafioliste, il m’apparaît fondamental que les
rapports que nous créons soient détendus et agréables. Le militantisme
et l’action politique sont bien souvent trop tristes et sombrent dans
une noirceur anxiogène pathétique. Je ne veux pas de ça. Même si des
situations sont graves et déconcertantes, il s’agit bien de ma vie qui
est en jeu. Et je ne sacrifierais pas ma vie pour une quelconque lutte.
Je veux lutter avec du plaisir, rire, être enjoué à l’idée d’avancer
politiquement, aller joyeusement à l’action... Cette joie et cette
simplicité n’impliquent nullement une négation de l’importance des
enjeux, ni une prise à la légère des actes. Il s’agit simplement de ne
pas se sacrifier pour une noble cause, mais bien d’engager sa vie dans
des réflexions et des actes qui nous appartiennent, qui nous
remplissent, qui nous impliquent.
Par le biais de ces rapports nouveaux, je veux m’affranchir de mon statut social d’homme et des privilèges qu’il implique. Cependant, à moins de ne vivre qu’entre nous sur une île, je sais pertinemment que je resterais en partie confronté à ce rôle qui est en moi et que le monde n’oubliera pas de me rappeler. Ainsi, au delà de réinventer des rapports sains entre nous, il apparaît indispensable de résister fermement à l’utilisation de nos privilèges au sein de la « société » et concrètement de ne pas en profiter à aucun niveau quel qu’il soit... (facile à dire, je sais...)
PISTES DE RÉFLEXION ET D’ACTION
Voici simplement des petites pistes sur des sujets (non-exhaustifs !) que j’ai envie d’aborder dans le cadre de cette lutte anarcho-tafioliste. Ces petites suggestions prennent pour cadre de référence des échanges non-mixtes entre hommes, formels ou informels, en groupe ou en relations interindividuelles...
ESPACES DE DISCUSSION
Il me semble important que dans l’oeuvre anarcho-tafioliste nous nous
attachions à créer des espaces de discussion sains, tant dans les
rapports verbaux que non verbaux. Le vocabulaire que nous employons, le
ton et le volume de nos voix, la place que l’on prend dans les
discussions, les stratégies de manipulation que nous mettons en oeuvre
consciemment ou non, l’attention que l’on porte ou non à l’expression
des autres, les différences d’aisance que l’on a à s’exprimer en
public, les différences d’histoires personnelles, culturelles,
intellectuelles ou sociales qui nous amènent à comprendre et exprimer
les choses de manières parfois très différentes sont autant de choses à
prendre en compte, à analyser, à réfléchir et à remettre en cause pour
arriver à des échanges sains, à de véritables compréhensions
réciproques, à de réelles avancées collectives...
ÉCHANGES DE SAVOIRS NON SPÉCIALISTES
De même, dans des rapports moins intellectualisés, il est nécessaire de
réussir à se débarrasser de la spécialisation et des rapports
hiérarchiques de savoirs qui sont forcément générateurs de pouvoir
(subi ou voulu, peu importe). Je pense qu’il est donc pertinent
d’instaurer en permanence des rapports d’échanges horizontaux entre
celui qui sait une chose et celui qui ne la sais pas, sans qu’aucune
valorisation ou jugement de valeur n’apparaisse. Je sais faire la
cuisine mais pas de mise en page informatique, alors je peux t’aider à
apprendre à cuisiner et tu peux m’aider à apprendre à utiliser un
logiciel de mise en page... C’est aussi simple que ça mais pas encore
suffisamment évident pour se passer d’en parler !
COOPÉRATION PERMANENTE CONTRE COMPÉTITION LATENTE
De manière plus générale, je pense qu’une attention toute particulière
doit être portée sur les rapports de compétition latents qui existent
entre hommes. Ainsi, si la moindre parcelle de compétition peut exister
elle empêche en elle-même la création de rapports de confiance. C’est
pourquoi des rapports de coopération doivent être mis en place dans
toutes les sphères des échanges non mixtes (et mixtes aussi mais là
n’est pas la question) afin de se débarrasser réellement de toute
attitude de coq dominant et de permettre une vraie proximité entre les
personnes.
SEXUALITÉS
Je crois que les discussions sur les sexualités et sensualités de
chacun sont parmi les plus difficiles à mettre en oeuvre. Je pense que
cette difficulté vient du fait que c’est un des seuls sujets où l’on
est obligé de s’impliquer personnellement et où l’on ne peut pas se
cacher derrière des approches purement théoriques. Ainsi, discuter de
sa sexualité c’est à la fois une fin en soi dans la mesure où le sujet
est intéressant et à la fois un moyen de créer des discussions où l’on
s’implique personnellement, où l’on se mouille réellement afin de
réussir à se débarrasser des approches purement théoriques dans des
échanges sur d’autres sujets aussi.
La sexualité est souvent compliquée, fait ressortir des tas de contradictions et de choses dérangeantes, des fantasmes parfois malsains ou peu éthiques, des blocages divers, et réussir à parler de tout ça c’est créer un espace de liberté avec les autres et avec soi-même.
CONTACTS PHYSIQUES ENTRE HOMMES
Les contacts physiques entre hommes sont plutôt rares. Combien de
femmes qui se prennent dans les bras, qui se lancent dans de grandes
embrassades entre elles ? Et combien d’hommes ? Cette peur bien ancrée
d’être des tapettes, de laisser apparaître une moindre faiblesse face à
des concurrents potentiels. Je pense qu’il est fondamental d’établir
des moments de contacts physiques entre hommes, où l’on se touche, se
masse, où l’on danse et que sais-je encore. Des moments où l’on soit
vrais, pas seulement dans nos têtes et nos mots, mais aussi dans nos
corps. Des moments où l’on n’a pas peur de se toucher, et des moments
où l’on est capables de se prendre dans les bras, parce qu’on s’aime,
qu’on rigole, qu’on est tristes, qu’on est fatigués, qu’on a froid, ...
CONTACT À SON PROPRE CORPS
Même si les hommes ont une fâcheuse tendance (ô doux euphémisme...) à
s’approprier le corps des autres, ils ne connaissent pas pour autant
forcément très bien le leur. La façon la plus répandue pour les hommes
de s’attarder sur leur corps se fait par le biais de sports
physiquement violents et difficiles (ou par le biais d’émeutes
aussi...), dans un dépassement de soi et de ses limites. Ainsi, se
réapproprier son corps d’homme autrement que par la force fait partie
intégrante d’une remise en question complète de son statut d’homme et
de la construction sociale qui l’accompagne, en vue de les dépasser par
et pour la création de rapports alternatifs sains. On peut imaginer
ensemble des tas de façons de se sentir à l’aise avec réellement chaque
bout de notre corps, en en parlant, en échangeant, en essayant, etc.
HUMILITÉ
Je pense sincèrement que l’humilité est une clef majeure de
l’émancipation et de la déconstruction du genre masculin. Vaste
programme, hein ?
Ce que je veux dire par là, c’est qu’en tant qu’homme on est habitué à avoir une place prédominante, à systématiquement vouloir poser notre marque partout, à remettre souvent en cause les capacités et réalités des autres et surtout des femmes, à nier les subjectivités différentes de la notre, etc... Et pour moi, un des prémices à toute autre évolution est déjà de réussir à remballer cette foutue prétention de toujours tout savoir mieux que tout le monde, à réussir à se mettre en retrait et à prendre moins de place, à observer ce qui se passe, à faire confiance aux autres et à ne pas remettre toujours en cause les réalités des autres sous prétexte qu’elles ne correspondent pas à notre propre subjectivité... Par exemple, si on me dit que tel jour j’ai eu un comportement de merde, plutôt que de me mettre directement sur la défensive et de chercher à argumenter soit pour nier soit pour me trouver des excuses, je peux plutôt essayer de remballer mon foutu orgueil, d’encaisser ce qu’on me dit, d’y réfléchir sincèrement puis après de me positionner réellement. Ouais, je sais, c’est plus facile à dire qu’à faire, et quand j’écris ces mots ça me prend aux tripes parce que je sais pertinemment que je suis le premier à avoir du mal à faire cet effort sur moi-même...
POUR EN FINIR RADICALEMENT
Je
n’ai à attendre strictement aucune reconnaissance. Ce texte et ses
applications concrètes constituent le minimum pour poser les bases de
rapports sains. Je n’ai pas non plus à espérer une tolérance plus
grande de la part des femmes parce que quand même, je ne suis pas le
pire macho de la Terre et que j’essaye de déconstruire ma masculinité.
Toute once de sexisme est de trop, quel que soit l’individu qui en est
à l’origine, « macho affirmé » ou « tafiole dégenrée ». Je n’ai pas à
faire le fier par rapport à cette lutte anarcho-tafioliste.
Je n’ai qu’à me faire tout petit, pour cause de m’y être mis si tard.
Oppressé-e :
Personne subissant une situation de domination causée par un-e autre
individu-e, indépendamment d’un contexte ou d’un système particulier.
Les deux personnes interagissent en leur nom propre et de manière
isolée.
Opprimé-e : Personne subissant une
situation de domination causée par un-e autre individu-e, au sein d’un
système d’oppression particulier. Les deux personnes agissent comme
représentant-e-s de leur groupe social, et perdent donc d’une certaine
manière leur statut d’individu-e. L’opprimant-e agit dans le but
(conscient ou non) de préserver le système d’oppression au sein duquel
ille a une situation de dominant-e. Je m’attarderai ici sur cette
deuxième notion.
Les
différentes oppressions relèvent toutes des mêmes mécanismes.
Lorsqu’une classe sociale en opprime une autre, quelles qu’elles
soient, ce sont toujours des mécanismes de domination, d’exclusion,
d’exploitation, de stigmatisation et bien d’autres encore qui sont mis
en œuvre afin de servir la classe dominante.
Si les différentes formes d’oppression sont comparables, elles ne sont
pas pour autant nivellables entre elles. Chaque système possède sa
propre classe dominante. Le système sexiste reconnaît les hommes comme
classe dominante, tout comme le système hétérosexiste reconnaît les
hétérosexuel-le-s comme classe dominante et le système raciste
reconnaît les blanc-he-s comme classe dominante.
Dans le cadre des luttes politiques à l’encontre de diverses formes
d’oppression, il me semble important de préciser un certain nombre de
choses afin d’éviter des raccourcis maladroits et inopportuns.
Il est bien important de voir que l’on peut être opprimé-e au sein d’un système, et être opprimant-e au sein d’un autre.
Pour être plus clair, on peut être pauvre et de peau blanche, ou être
un homme et être pédé. On sera alors opprimé-e comme pauvre et
opprimant-e comme blanc-he, ou alors opprimant en tant qu’homme et
opprimé en tant que pédé.
Et cela car les différents systèmes d’oppression relèvent à chaque fois
de statuts sociaux différents : la richesse économique, la couleur de
peau, le genre, la sexualité...
Ainsi, le statut d’opprimé-e que l’on peut avoir au sein d’un de ces
systèmes n’atténue aucunement le statut d’opprimant-e que l’on peut
avoir au sein d’un autre système. En bref, ce n’est pas moins grâve
d’être macho quand on est pédé.
Lorsque que l’opprimé-e fait entendre son oppression à son opprimant-e,
ce-tte dernier-e n’a donc pas à refuser d’entendre la critique sous
prétexte qu’ille est opprimé-e par un autre système.
Par exemple, si une femme (statut social d’opprimée par le système
sexiste) fait entendre à un homme (statut social d’opprimant dans le
système sexiste) que ce dernier l’oppresse, celui-ci n’a aucun droit de
ne pas reconnaître l’oppression dont il est la cause sous prétexte
qu’il est pédé (statut social d’opprimé par le système hétérosexiste).
Un-e opprimé-e par un certain système sera donc toujours légitime à
faire entendre sa voix à son opprimant-e quelque soit le statut de
ce-tte dernier-e au sein des autres systèmes.
En gros, c’est pas parce que tu es une femme que tu n’as pas à te remettre en cause quand un-e rebeu-e te dit que tu as un comportement raciste, et c’est pas parce que tu es rebeu-e que tu n’as pas à écouter une femme qui te dit que tu as un comportement sexiste.
Ensuite,
je voulais aussi vous faire part d’une autre distinction fondamentale
et trop souvent oubliée, celle entre l’oppression et l’aliénation.
J’entends souvent que les hommes sont aussi victimes du système sexiste
et patriarcal qui veut en faire des vrais mecs virils qui assurent, qui
parlent fort et qui jouent au foot, alors que c’est pas parce que tu as
une bite entre les jambes que tu as forcement envie de ça.
Tout ceci est vrai. Le problème est quand ce genre de discours devient
un argument pour refuser de se remettre en cause sur ses propres
comportements sexistes, sur le mode « de toute façon je suis un mec
raté (= pas viril), donc c’est pas à moi qu’il faut dire que je suis
macho. »
C’est là que je tire une sonnette d’alarme ! Le système patriarcal aliène les hommes mais ne les oppresse pas !
Il existe deux grilles de genre auquelles il faut se conformer. La
grille du genre féminin et la grille du genre masculin. Ces grilles
sont des carcans qui enferment les individu-e-s dans des cases non
choisies en établissant des stéréotypes auquels illes doivent
correspondre. Femmes et hommes sont aliéné-e-s par ces grilles. Mais à
ce stade là, il n’y a pas encore de hiérarchie entre les genres, et
donc pas d’oppression.
L’oppression arrive uniquement lorsque le système sexiste place une
hiérarchie entre les deux genres, en plaçant les hommes comme
supérieurs aux femmes.
Ainsi, par essence, l’homme a un statut d’opprimant au sein du système
sexiste et patriarcal. Et même si Gégé n’est pas viril et qu’il a été
durement rudoyé par le système sexiste qui voulait à tout prix en faire
un rugbyman alors qu’il aurait préféré la danse, il reste de toute
façon un représentant d’une classe d’opprimants. Gégé a été aliéné par
le système sexiste qui créer des grilles de genre auquel tout le monde
doit se plier, mais n’en a pas été opprimé. En gros, Gégé s’en est pris
plein la gueule tous les jours pour des tas de raisons qu’il ne faut
surtout pas nier, mais pas pour la raison qu’il n’avait pas le bon
chromosome. Or le sexisme, c’est simplement une oppression basée sur
une différence chromosomique. Si Gégé s’est fait tapé dessus parce
qu’il avait l’air efféminé, c’est à cause de sa non-conformité à la
grille du genre masculin, et pas à cause d’un rapport sexiste de
hiérarchie.
Donc un homme peut bien être aliéné par le système sexiste qui attend
un certain nombre de choses de lui, mais non, un homme ne peut
absolument pas être opprimé par le système sexiste. Il peut être
opprimé pour un tas d’autres raisons : parce qu’il est pauvre, pédé,
jeune, vieux, noir, brun, pas musclé, etc..., mais pas parce qu’il est
un homme.
Bref, je crois que je vais m’arrêter là pour l’instant parce que j’ai
vraiment du mal à m’exprimer sous un angle aussi théorique. Mais je
voulais quand même essayer parce qu’il n’y a pas de raison que
l’expression théorique soit réservée aux intellectuel-le-s et autres
sociologues...
Ça paraît bête dit comme ça, hein ?
Mais réfléchissons deux minutes au sens profond de cette phrase.
Faire ce que je veux de moi-même, c’est rejeter la nature et la
culture. Cela revient à avoir le pouvoir absolu sur sa propre personne.
Cela veut dire s’émanciper de sa piètre condition de produit d’une
société.
Je suis un être naturel : j’ai un corps, qui a besoin de s’alimenter, de se reposer, d’être entretenu. J’ai des yeux malades (qui portent des lunettes avec une myopie de -7), j’ai des épaules assez larges, j’ai une bite, j’ai des poils un peu partout, j’ai une prostate, j’ai un bidon, et encore des tas de trucs que vous AVEZ peut-être aussi...
Je suis un être culturel : j’ai différents statuts sociaux, je suis un garçon, je suis jeune, je suis économiquement assez pauvre à l’échelle de la France, mais assez riche à l’échelle de la planète. Je suis de peau blanche, je suis de celleux qui ont un Bac + 2, je suis de celleux qui n’ont pas d’activité salariée régulière, par choix. Je suis anarchiste, rédacteur de zine, musicien. Je suis homosexuel qui a grandi et vécu comme hétérosexuel sans pratiquement en souffrir. Je suis ami, amant, camarade, connaissance, inconnu, et encore des tas de trucs que vous ÊTES peut-être aussi...
Mes caractéristiques culturels ont été conditionnés par mes caractéristiques biologiques. J’ai une bite, je suis un garçon...
La société, ce truc bizarre qui n’est pas vraiment nous mais quand même un peu, a voulu me voir homme, fort, avec de l’assurance, entreprenant, confiant, dominant, peu attentionné envers les autres, insistant, violent, et encore des tas de trucs que vous ÊTES peut-être aussi...
Elle a confié ce travail à des parents, des professeureuses, des éducateurices, des surveillant-e-s, des flics, des animateurices, des voisin-e-s, des passant-e-s, et encore des tas d’autres gen-te-s que vous ÊTES peut-être aussi...
Et elle a plus ou moins bien réussi son coup, la société ! Manque de bol, elle avait oublié de me demander mon avis ! Parce que moi, j’ai pas trop envie d’être un homme, blanc, occidental... Ou alors, si, je veux bien avoir une bite, une peau blanche et habiter dans une région du monde qui s’appelle France, mais je veux pas trop les implications culturelles et sociales qui vont avec...
En bref, que je le veuille ou non, je viole des femmes. Que je le veuille ou non, j’exploite des noir-e-s, des brun-e-s, des jaunes,... Que je le veuille ou non, je pompe les richesses de milliers de personnes. Car malgré tous mes beaux efforts, je ne suis pas qu’un individu. Je suis aussi un représentant d’une classe sociale dominante et privilégiée... Heureusement que je suis jeune et pédé parce que sinon ce serait la totale, je vous dis pas...
Tout ça pour vous dire que je suis des tas de choses que je n’ai pas du tout choisi... Et plutôt que de me dire que c’est la vie et faire avec, j’ai envie de les changer ces choses. N’oubliez pas que je veux faire ce que je veux de moi-même.
Alors stop, je ne veux plus que mon zizi et ma peau soient synonymes d’oppression... Je veux me changer de plein d’endroits. Je veux détruire ce qui ne me plaît pas et construire des trucs mieux à la place... Des fois aussi je peux construire des trucs qui un jour ne me plaisent plus alors je veux les casser et encore en refaire des nouveaux.
Faire ce que je veux de moi-même, c’est remplacer la nature et la culture par les envies et les désirs... Même si mes envies et mes désirs sont souvent issu-e-s soit de la nature soit de la culture, je peux essayer de faire en sorte qu’illes viennent le plus possible de mes profondeurs à moi et rien qu’à moi... Et puis ça ne se fait pas en un claquement de doigts... Ça prend du temps, des années, une vie ou plusieurs...
Faire ce que je veux de moi-même, c’est extrême... Parce qu’avant de choisir ce que je veux faire de moi, il faut déjà que je réussisse à briser ce je suis obligé de faire... Faut que j’arrive à ne plus être ce qui ne me plaît pas... Maîtriser mon corps et mon esprit...
Réussir à ne pas dormir, à ne pas manger, à vivre plusieurs heures ou jours sans mes lunettes, à faire du sexe sans ma bite... Essayez des tas de trucs chouettes avec mon corps, le transformer, en prendre possession, vraiment, avec tout ce que cela implique...
Réussir à ne plus être un petit mâle dominant, un petit blanc méprisant, un petit français orgueilleux,... Réussir à être faible, à pleurer, à écouter, à me taire, à prendre en compte les autres, à faire preuve d’humilité... On dirait pas comme ça, mais l’humilité c’est super important quand tu as un statut de privilégié... Je dirais même que c’est par là que l’émancipation commence...
Je veux jouer avec mon corps et mon esprit... Je veux les modifier à souhait. Aller toujours plus loin dans la remise en cause, dans la déconstruction/reconstruction, dans la radicalité, dans la cohérence, dans l’honnêteté par rapport à ce que je veux vraiment...
Je crois que mon but dans la vie, c’est de ne plus rien subir et de tout choisir...
Ca paraît ambitieux dit comme ça, hein ?
Je veux être un champ d’expérimentation de la liberté.
Ouais, y’a du pain sur la planche...
Excusez-moi mais elle me gratte
Ma pauvre peau de phallocrate
Dans la région de la prostate
Des z’hommes...
Excusez-moi mais je me tire
Sans un regret, sans un soupir
De votre maffia, votre empire
Des z’hommes...
A chacun-e sa révolution
Aurais-je seulement trois compagnons
Qui partagent l’indignation
D’un homme ?...
(Henri Tachan)
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